L'Ontario de Katherine Levac
J’ai grandi dans un milieu francophone de l’est de l’Ontario (voir Tourisme Prescott-Russell), à St-Bernardin, un petit village agricole d’environ 300 personnes.
Quand j’étais petite, en revenant de l’école, tous mes amis regardaient Barney & Friends. Un dinosaure mauve sympathique, des chansons entrainantes qui parlent d’amitié, qui peinture des colliers en pâtes alimentaires : tout pour me plaire.
Hélas, mon père, fier défenseur de cette langue qu’est le français, n’aimait pas qu’on regarde la télé en anglais. Faque on regardait TFO, la télé franco-ontarienne. J’aimais TFO, mais, Barney c’était en anglais, c’était plus cool.
Au secondaire, on organisait des danses le vendredi soir. On était frustré parce que l’école empêchait le DJ de mettre de la musique en anglais. On était une école francophone, tout devait donc se faire en français. Le problème, c’est que quand t’as 15 ans, tu veux danser sur du Rihanna, pas sur du Marie-Chantal Toupin. On aimait la musique francophone, mais Rihanna c’était en anglais, c’était plus cool.
À l’université, j’ai commencé à donner des formations d’improvisation pour les plus jeunes dans les écoles francophones en Ontario. En général, l’impro sert à développer sa créativité, une écoute artistique, et une vivacité d’esprit, le tout, en s’amusant.
Aux yeux des enseignants, en Ontario, l’impro sert surtout à promouvoir la langue française. On avait reçu l’instruction de donner des punitions aux jeunes qui utilisaient des mots anglais durant les joutes. Je trouvais ça ridicule. Comme si l’emploi du mot toaster donnerait lieu au déclin de notre identité culturelle un mardi matin dans un local de théâtre de Cornwall.
Et c’est lors de ma tournée des écoles que je les ai vu pour la première fois. Ces jeunes dits « francophones ». Des jeunes d’une autre génération, d’une autre réalité.
Des jeunes qui semblent étouffés par le français, qui attendent impatiemment la fin du cours pour parler anglais dans les corridors avec leurs amis, à grands coups de OMG et de check it out guys.
Des jeunes qui ne communiquent pas dans la même langue que leurs grands-parents. Des ados qui s’appellent Lalonde, Gauthier, Blais, Rochette, avec comme prénom Amber, Luke, Kyle et Brett, signe d’une belle débarque identitaire, inoffensive, mais débarque pareil. Est-ce que c’est ça, l’évolution?
Des jeunes à qui on n’a jamais pris la peine d’enseigner qu’au-delà du moyen de communication, la langue représente surtout une partie de notre identité. Naïvement, j’avais cru que tous les papas franco-ontariens avaient Barney & Friends en horreur.
J’avais pris le français pour acquis. On fait tous des erreurs de jeunesse, et soudainement, l’Ontario français m’a semblé tellement plus beau. Plus fragile, certes, mais tellement riche, animé et essentiel.
C’est pour ça que j’aime l’Ontario français. Parce que je suis fière de ce que mes ancêtres ont accompli, de l’héritage et de l’éducation que j’ai pu recevoir. Parce que les Franco-Ontariens sont accueillants, persévérants et fiers.
Parce que les villages francophones en Ontario, en plus des paysages à couper le souffle, sont comme de petites mines d’or de culture (comme le présente ici Tanya Lapointe, journaliste culturelle aussi originaire de l'Est ontarien), d’histoire, de découvertes et de chaleur humaine.
Parce qu’aujourd’hui, je gagne et fait ma vie en français, une langue vraiment cool.